mardi 18 octobre 2011

Commencer toujours par le commencement

(Voici un petit billet que j'ai donné pour le bulletin paroissial pour la rentrée en septembre [déjà !]. Si vous avez l'impression d'avoir quelque peu raté la rentrée, c'est toujours le moment de démarrer. En effet, dit-on [tiens, j'ai envie de dire quelque chose sur ce "on dit"], il est temps de commencer quand on a l'impression d'avoir raté le bon moment de commencer.)

Qui pensera normal le geste de ce moine d’autrefois dans le désert ? Il levait ses bras pour prier vers le soleil couchant chaque jour et restait dans cette position de prière toute la nuit en attendant le lever du soleil du lendemain. Comme si le soleil risquait de ne plus se lever sans sa prière, comme si un nouveau jour ne pouvait pas venir sans son attente, comme si un jour pouvait arriver où aucun commencement ou recommencement ne serait permis…

Le tour du soleil – précisons : celui de notre terre sur elle-même et autour du soleil – nous est devenu quelque chose d’évident. On a l’impression qu’un jour arrive et s’en va comme un autre, et dans cette période de l’année nous nous disons : « ah, encore la rentrée… », ce que nous nous étions dit sans doute les années précédentes.

« Commencer gaiement par le commencement », disait un théologien il y a un peu moins de cent ans. Si nous nous sentons blasés dans cette période de nouveau commencement, c’est peut-être le moment où on peut se laisser inviter par ce mot. Quels sont la source ou les fondamentaux de votre vie par lesquels vous pourriez commencer ce temps gaiement ?

mardi 12 avril 2011

Chanter avec une partition

Personne ne sait la souffrance que j’ai vue, personne sauf Jésus
Personne ne sait la souffrance que j’ai vue, gloire alléluia !
(Nobody knows the trouble I've seen, nobody know but Jesus
Nobody know the trouble I've seen, Glory Hallelujah!)

Le refrain de ce negro-spiritual, chant des noirs américains au temps de l’esclavage, est quelque peu déconcertant. Il semble passer du coq à l’âne. L’exclamation « gloire, alléluia » suit sans aucune transition le cri de souffrance. Les paroles que, pour le moins, nous hésiterions à prononcer dans une telle situation, nous les chantons ; ou plus exactement, le chant nous les fait chanter. Ce serait d'ailleurs drôle de voir un chanteur s'arrêter de chanter chaque fois que la partition qu'il chante le fait réfléchir. Une partition nous permet de chanter quelque chose avant même de nous mettre d'accord ou en désaccord avec ce que nous chantons. Ainsi, elle nous conduit parfois à l'apprentissage des émotions qui nous seraient autrement inconnues.

Dans notre vie, aux côtés de petites et grandes joies, nous parviennent aussi des nouvelles et des événements qui nous inquiètent ou nous attristent, de loin ou de près – parfois de trop près. Je me demande si une communauté n’est pas aussi un peu comme une chorale. Devant de tels sujets, au lieu de céder au mutisme, elle prend le courage de prendre une partition pour chanter avec un rythme commun. La partition qu’une communauté chrétienne chante les uns pour les autres, les uns avec les autres, on l’appelle la prière.

La peur et le bouleversement tels que ceux que les femmes ont ressentis devant le tombeau vide au matin de Pâques (cf. Mc 16) ne nous empêchent pas de chanter le « oui » de Dieu. Ou plutôt : l’approbation de Dieu, manifestée à la vie et à l’espérance en elle dans l’événement pascal, nous permet de chanter même la crainte et le désarroi qui nous arrivent. Une communauté chrétienne chante un chant dont le rythme nous pousse inlassablement à crier « gloire, alléluia ». Parfois comme du coq à l’âne, un peu comme du Crucifié au Ressuscité (mais justement !).

(P.-S.: Texte légèrement modifié de celui que j'ai donné comme un billet pour le journal régional "Réveil" pour le mois de mai.)

samedi 9 avril 2011

Editorial

Voici un éditorial que je viens de rédiger pour le journal paroissial. C'est toujours difficile de rédiger quelque chose qui tienne la route en 1500 signes, et je suis rarement satisfaite du résultat ; des avis ?

Nous venons de célébrer Pâques. Pâques, la fête de la victoire définitive du Christ sur la mort - et à travers elle, de la promesse de notre propre victoire - est souvent considérée comme la fête la plus importante de l’année pour les chrétiens, le point culminant du calendrier liturgique. Pourtant, certains théologiens affirment que la fête la plus importante est plutôt... la Pentecôte. Et on peut comprendre pourquoi : la Pentecôte, où l’on fait mémoire du don de l’Esprit aux apôtres cinquante jours après la résurrection du Christ, marque la naissance de l’Eglise. Il ne s’agit pas de la naissance d’une institution, mais de notre propre naissance en tant que peuple de Dieu, en tant que présence du Christ sur la terre.

A Pentecôte, nous allons fêter les catéchumènes qui vont être baptisés ou confirmer les promesses de leur baptême. Au-delà de la joie pour ces jeunes en ce jour si particulier pour eux, c’est à la fête pour nous-mêmes, notre paroisse, notre Eglise, et plus largement l’Eglise du Christ à travers le monde, que nous sommes invités. Parce que la Pentecôte nous redit que nous sommes le peuple choisi par Dieu pour être ses témoins ; parce que malgré nos faiblesses et nos imperfections, nous sommes appelés à manifester son amour pour ce monde. Pour reprendre la formule d’un théologien, la Pentecôte est le moment de se réjouir d’être l’Eglise, ce « rassemblement extraordinaire de gens extraordinairement ordinaires ».

mercredi 6 avril 2011

Du monastère

Les monastères, c'est chouette ! Vous l'aurez compris si vous avez lu mon précédent message : j'éprouve une attirance certaine pour la vie monastique et les monastères. Et pourtant, j'appartiens à une tradition protestante qui est loin d'avoir toujours eu cette même attirance. Au moment de la Réforme, on a vu se vider les couvents. Luther, après tout, était un moine défroqué marié avec une ex-religieuse ! La tradition réformée a fait preuve de tant de méfiance envers le célibat consacré qu'il a fallu attendre le 19ème siècle, en France, pour voir apparaître le premier ordre religieux protestant féminin, celui des diaconesses (il n'existe toujours pas d'ordre masculin). Alors, je me pose à moi-même la question : quel sens peut bien avoir l'attirance d'une réformée pour les monastères ?

Essayons de remettre un peu les choses dans leur contexte. Dans une certaine vision catholique de l'existence (qui existe encore, je l'ai moi-même entendue dans la bouche de certains amis), il y a une "hiérarchisation" de la "valeur" (je mets des guillemets mais il faudrait en rajouter encore une bonne quantité, tant "valeur" est loin d'être le terme qui conviendrait le mieux) des différents choix de vie. Dans cette "hiérarchie", le haut de l'échelle est occupée par les modes de vie religieux, le bas de l'échelle par les vies de "simples laïcs". Bien évidemment, cette présentation est très caricaturale, mais j'espère que les éventuels lecteurs catholiques me pardonneront mon péché de simplification.

La Réforme protestante s'est élevée d'une manière vive contre cette hiérarchisation. L'argument théologique derrière cette protestation était le suivant : aux yeux de Dieu, il n'y a pas de vie humaine qui ait moins de "valeur" qu'une autre. La vie d'un cantonnier (qu'il soit bien entendu que je n'ai rien contre les cantonniers) est aussi pleine de sens que la vie d'un ermite. Et ceci pour une raison simple : chaque chemin de vie, qu'il soit laïc ou religieux, répond à un appel de Dieu. On peut avoir, au sens le plus plein du terme, une vocation à être professeur, pâtissier ou chauffeur routier aussi bien qu'à devenir prêtre ou moniale, et chaque mode de vie peut être un authentique chemin à la suite du Christ.

Alors, pourquoi le monastère ? Pour ce qui me concerne, je répondrais que la vie monastique (une vie de célibat, en communauté, rythmée par la prière) est peut-être la manière la plus visible d'incarner toute la radicalité de l'Évangile. Un séjour au monastère me rappelle, sans échappatoire possible, quelle est la finalité de mon existence : c'est, comme le disait Calvin, de connaître Dieu. Il n'y a rien de plus important.

En même temps, le monastère me rappelle qu'une telle recherche, une existence ainsi orientée, ne sont pas uniquement possibles en son sein. Une sœur de Bose me le disait l'an dernier : les moines et moniales de la communauté, au moment de leur profession, ne prennent pas les vœux "classiques" de chasteté, pauvreté et obéissance. À Bose, les vœux pris sont ceux de vie de célibat en communauté, ce qui est la caractéristique marquante de la vie monastique. Pourquoi ? Parce que chasteté, pauvreté et obéissance devraient déterminer la vie de tout chrétien, pas seulement des moines (juste au cas où et pour éviter tout malentendu, je rappelle que chasteté n'est pas forcément synonyme d'abstinence sexuelle, et qu'il s'agit d'obéir à l'Évangile, non à une quelconque autorité religieuse).

Ainsi, paradoxalement, le monastère me redit qu'une vie totalement engagée au service de l'Évangile, dans la suite du Christ, est possible aussi dans mon existence quotidienne ; le temps que j'y passe ne fait que mieux me renvoyer vers l'extérieur, vers ma propre vocation. Et finalement, si la Réforme a ouvert tout grand les portes du monastère, c'est sans doute pour mieux permettre à chacun de vivre dans son "monastère intérieur".

(Et dois-je rappeler que le "moineau", mascotte de ce blog, signifie "petit moine", en référence à son plumage de la même couleur que la robe de bure ?)

mardi 5 avril 2011

Au rythme des heures (de retour de Bose)

Il y a les montagnes, qui se détachent si nettement au petit matin et qui se drapent de brume à la mi-journée. Il y a l'église, quasiment vide aux laudes de six heures, où les chants résonnent avec plus d'intensité dans le silence, et dont les fenêtres du chœur s'illuminent à mesure que le soleil se lève ; et cette même église, comble à l'heure de l'eucharistie du dimanche, à la nef emplie de lourdes volutes d'encens, mais où règne un tel calme que l'on entend cliqueter la couverture métallique de l'évangéliaire ouvert par le prieur. Il y a le ciel limpide, où les étoiles paraissent si proches à la nuit tombée.

Il y a la communauté chaleureuse, accueillante, souriante, toujours surprenante, nourrie et pénétrée de la Bible. Il y a la paix des chambres sobres mais belles, la verdeur des prés, le chant des oiseaux, les savoureux repas pris dans la bonne humeur, parfois en silence.

Il y a cette Présence qui emplit chaque espace et chaque instant.

jeudi 31 mars 2011

Le christianisme est-il une religion ?

Le christianisme, pas une religion ? Allons donc, en voilà une bien bonne ! Ai-je complètement perdu la tête ?

Peut-être avez-vous noté cette remarque faite par Hyonou au sujet du christianisme dans son dernier message :
"Certains théologiens, dont une part de moi-même, récuseraient ce terme de "religion" ".
Cela mérite bien quelques explications !

Si l'étymologie du mot "religion" est encore discutée, la tradition veut qu'il soit issu du latin "religare", qui signifie "relier", "établir un lien". Pour le dire avec les mots de Cicéron, « la religion est le fait de s'occuper d'une nature supérieure, que l'on appelle divine, et de lui rendre un culte » (De l'invention oratoire, II, 53-54 ou §160-162). La religion, c'est donc le lien établi par l'homme avec le divin, aux moyens de rites et de doctrines. Et dans cette formulation, tout le problème est déjà présent !

Puisque le diable, c'est bien connu, se cache dans les détails et que des querelles théologiques insurmontables éclatent pour un seul mot (comme le grand schisme de 1054 entre Église d'Orient et Église d'Occident, provoqué par la présence du terme "filioque" dans le texte du Credo), regardons cette phrase d'un peu plus près.

"C'est donc le lien établi par l'homme avec le divin" : premier problème ! Comment l'être humain - cet être si faible, si limité, si imparfait - peut-il, de lui-même, établir un lien avec Dieu - infiniment parfait et infiniment infini ? C'est une idée aussi peu réaliste que de s'imaginer que l'on pourrait cueillir la lune en tendant la main... "Aux moyens de rites et de doctrines" : en plus de s'imaginer qu'il peut s'élever jusqu'à Dieu, l'être humain pense maintenant qu'il peut contraindre Dieu par une série de rites qui "l'obligeraient" à accorder quelque chose à ceux qui les accomplissent ; et en élaborant des doctrines, il prétend définir ce que Dieu est. On pourrait alors dire que le Dieu auquel s'adresse la religion n'est qu'une construction dans laquelle l'être humain projette ses besoins et ses désirs.

Au contraire, le Dieu des chrétiens est un Dieu qui se révèle, d'abord par la Loi et les prophètes au peuple d'Israël, et surtout dans la personne de Jésus-Christ. En Jésus, Dieu fait homme accomplit ce qui était impossible à l'être humain : abolir la distance entre l'humain et lui. Dieu n'est pas un Dieu lointain vers lequel on s'élève, il est un Dieu qui se révèle en s'abaissant jusqu'à nous, un Dieu qui s'incarne dans notre humanité et dans notre faiblesse. La foi chrétienne, c'est l'accueil en soi de cette présence de Dieu.

Alors, dans ce sens-là, le christianisme n'est pas une religion !

Un petit lexique

Dans la suite du message d'hier (cf. ici), voici trois termes bien utiles dans la langue française :
  • "religion" : bouddhisme (même si tous les bouddhistes ne seront pas d'accord avec ce mot "religion"), judaïsme (même si quasiment tous les rabbins se plaindront de cette appellation "religion"), islam (tiens, tiens... j'ai honte, mais je ne sais pas comment les musulmans comprendraient le mot "religion"), christianisme (certains théologiens, dont une part de moi-même, récuseraient ce terme de "religion"), etc.
  • "confession" : à l'intérieur du christianisme (que je connais le moins mal), confessions orthodoxe, catholique romaine, protestante, catholique chrétienne, etc.
  • "dénomination" : à l'intérieur du protestantisme (que je connais encore un peu mieux), Eglises luthérienne, réformée, méthodiste, baptiste, pentecôtiste, etc.
Dans le même ordre d'idée, il convient de distinguer les deux mots "œcuménisme" et "interreligieux".
  • "œcuménisme" : mouvement intra-chrétien entre différentes confessions (la position de Hans Küng, théologien suisse, qui tente d'élargir la portée de cette notion à la dimension d'interreligieux, est minoritaire).
  • "interreligeux" : comme le nom l'indique, cela concerne les interactions entre différentes religions comme le dialogue chrétien-musulman par exemple.

mercredi 30 mars 2011

Petit exercice de calcul

Rassemblez dans une salle un musulman, un juif, un bouddhiste, un catholique, un orthodoxe et un protestant : combien y a-t-il de religions au total ? Si vous avez répondu "six", vous avez perdu. La bonne réponse est bien sûr quatre, puisque les trois derniers (catholique, orthodoxe et protestant) sont tous des chrétiens !

Ceci dit, si vous vous êtes trompés, soyez rassurés : vous n'êtes pas les seuls. Aujourd'hui, commentant la prise de position des représentants religieux contre le débat sur la laïcité de l'UMP, les médias n'ont pas cessé de parler de la tribune signée par "les six religions"...

mardi 29 mars 2011

Étranges étrangers

Pierre, apôtre de Jésus-Christ, aux élus qui vivent en étrangers dans la dispersion... 
(1 Pierre 1,1)

C'est un beau dimanche d'août. Hyonou et moi sommes mariés depuis quelques mois, et c'est ma première visite en Corée. Ce jour-là, nous nous rendons dans une petite église située dans la ville où habitent les parents de Hyonou. Ce n'est pas très loin, mais il n'y a pas de bus direct. Nous empruntons le vélo de mon beau-père ; Hyonou pédale, je suis installée sur le porte-bagages. Tout au long de notre parcours, je suis dévisagée par des regards insistants, d'ailleurs plutôt bienveillants ; certains me fixent, d'autres me sourient, beaucoup se retournent sur notre passage.

Ce trajet à vélo, dans mon souvenir, reste ma première expérience de ce que Hyonou vit souvent ici : l'étrangeté. Pas l'étrangeté comme on l'entend couramment, c'est-à-dire quelque chose de bizarre, mais l'étrangeté dans son sens premier : être étranger, ne pas se fondre dans le paysage, détoner. Et c'est une expérience qui enseigne quelque chose de fondamental sur ce que c'est qu'être chrétien. Luther l'écrivait déjà : la vie d'un chrétien dans ce monde est un pélerinage, une errance continue qui ne le mène jamais à un lieu dont il pourrait dire : "C'est ma patrie".

Je crois que ce serait une erreur de comprendre cette métaphore du pélerinage comme une lamentation pieuse sur les difficultés et les injustices de l'existence, cette "vallée de larmes", qui seront heureusement effacées dans l'au-delà. Au contraire, elle souligne une des caractéristiques fondamentales de la vie chrétienne : celui qui se reconnaît comme disciple du Christ appartient d'abord et avant tout au Royaume de Dieu. Ce Royaume n'est pas seulement, comme on l'entend parfois, le règne de Dieu qui s'établira sur terre après le retour du Christ. Le Royaume est aussi déjà là, et c'est l'Église, corps du Christ bien réel et bien présent dans le monde, qui est la manifestation visible de cette réalité nouvelle.

On devine alors le sens premier de la citation biblique mise en exergue de ce message ainsi que des mots de Luther : si les "élus" (littéralement "ceux qui ont été appelés") vivent "en étrangers dans la dispersion", si la vie des chrétiens n'est qu'un long voyage sans port d'attache, c'est parce que celles et ceux qui suivent le Christ sont citoyens d'un Royaume invisible. Ce Royaume n'a ni territoire, ni frontière, ni langue, ni État, mais il s'incarne dans une communauté d'individus appelés en à faire la réalité la plus importante de leur vie : l'Église. Et cette citoyenneté fondamentale, qui prime sur toute autre appartenance, fait d'eux des étrangers jusque dans leur propre patrie.

Dans les récentes déclarations du ministre de l'Intérieur sur la laïcité, qui visent particulièrement l'islam et sa visibilité, je suis profondément gênée par une certaine conception d'une société où l'on n'aurait pas le droit de paraître différent, où l'expression de la foi personnelle n'aurait pas sa place. Et je ne peux m'empêcher de soupçonner que si l'islam est si régulièrement visé par des déclarations de ce type de la part de nos politiques, c'est précisément parce que les musulmans pratiquants paraissent étrangers - justement pas au sens national du terme, mais parce que leur pratique religieuse, qui place de manière évidente l'ensemble de leur existence sous le signe de leur foi, les rend étranges aux yeux d'une société sécularisée qui ne veut plus entendre qu'elle n'est pas l'instance la plus importante de l'existence humaine.

Le christianisme, présent depuis bien plus longtemps dans cette société à laquelle il s'est intégré, assimilé, dans laquelle il s'est dissous, semble avoir perdu sa force d'interpellation vis-à-vis des tentations totalitaires de celle-ci. Et pourtant, appartenir à l'Église du Christ, c'est placer au-dessus de tout sa fidélité à Dieu, ce Dieu dont nous croyons qu'il s'est pleinement révélé dans un homme condamné à mourir d'un atroce supplice. C'est, à cause de cette fidélité, relativiser tout ce qui compte dans la vie d'un être humain : le statut social, les biens matériels, et même les liens familiaux. C'est s'efforcer de vivre, dans la suite du Sermon sur la montagne, une vie de non-violence sans souci du lendemain. C'est rendre visible et manifeste, dans l'existence quotidienne, cette appartenance fondamentale à un Royaume plus grand que la société, plus grand que l'État. C'est vivre, et être perçus, en étranges étrangers.

Bavarder sur Dieu ?

"Qu'avons-nous dit, [...], ou que dit-on, quand on dit de toi ? Et malheur à ceux qui se taisent sur toi, puisque, bavards, ils sont muets (quid diximus, [...], aut quid dicit aliquis, cum de te dicit ? et uae tacentibus de te, quoniam loquaces muti sunt)" (Augustin, Confessions, I, iv, 4).
Cette phrase m'a surpris hier. Augustin développe un long paragraphe sur les aspects "contradictoires" chez Dieu : il est à la fois miséricordieux et juste, complètement caché et très présent, jamais neuf et jamais vieux, toujours en action et toujours en repos, etc. Tout concourt pour que nous reconnaissions que notre langage est si faible et inapproprié pour décrire Dieu que nous n'avons pas d'autre choix que de nous taire sur Dieu. En pensant parler de Dieu, nous parlons sans doute de tout autre chose que de Dieu.

La conclusion aurait dû être plutôt : malheur à ceux qui parlent de toi. Par ailleurs, à côté de la tradition théologique "parlante", était et est toujours présente une autre tradition qui privilégie le silence concernant Dieu.

Mais ce Dieu, aussi contradictoire et insaisissable qu'inexprimable dans notre faible langage humain, manifeste sa contradiction au plus haut point dans le fait qu'il se donne à notre pensée et à notre langage. Il n'a pas besoin de nous qui parlons de lui, mais il veut que nous parlions de lui ; il n'a pas besoin de notre amour, mais il veut que nous l'aimions. Il est un Dieu qui a "décidé" de ne pas être seul, de ne pas être sans l'être humain.

Ainsi, Augustin peut dire que ceux qui se taisent sur Dieu sont bavards sur tout sauf Dieu et qu'ils oublient le caractère de don, de pure grâce de notre existence dans nos paroles. Si imparfait que ce soit, notre langage est un don gratuit. Avec notre langage, nous serons toujours bavards. La question est : de quoi et comment bavarderons-nous ?

dimanche 27 mars 2011

Prendre le temps de bavarder


Deux moineaux dans un champ. Ils ne s'occupent pas des graines. En effet, l'un des deux a posé une question ; une question qui n'a rien à voir avoir avec les affaires du quotidien (le temps qu'il fait, ce qu'on va trouver à manger, les rapaces à éviter, tout ce que les moineaux appellent communément "essentiel" ou "vital").

L'autre moineau répond, et un bavardage s'installe. Un moment gratuit naît. Les moineaux se regardent et bavardent. Ils oublient un moment les graines à ramasser. Le temps qui passe commence à se faire entendre dans les paroles qui s'échangent et dans la mélodie du vent qui caresse les épis.

Penser et parler de Dieu et de l'homme en tant que son partenaire dans l'histoire, est-ce possible dans un endroit et un moment aussi inattendus qu'un champ sous le soleil ? Les paroles ne sont pas toujours assez soignées et suffisamment mûries, mais, comme chaque existence a sa place, chaque parole aussi.

Les deux moineaux aiment bavarder aussi sur des sujets qui demandent du temps pour être réfléchis. Petit à petit, de retour du champ, ils commencent à mettre les paroles glanées dans un coin de leur nid. Mûriront-elles un jour ?, s'inquiètent les moineaux. C'est alors que germe une idée : et si on les mettait par écrit...