dimanche 9 juin 2013

Prédication pour le 3ème dimanche après la Trinité

Prédication d'"au revoir" à deux voix pour la fête d'été à Marsaz



Texte biblique : Luc 7,11-17


11Or, Jésus se rendit ensuite dans une ville appelée Naïn. Ses disciples faisaient route avec lui, ainsi qu'une grande foule. 12Quand il arriva près de la porte de la ville, on portait tout juste en terre un mort, un fils unique dont la mère était veuve, et une foule considérable de la ville accompagnait celle-ci. 13En la voyant, le Seigneur fut pris de pitié pour elle et il lui dit : « Ne pleure pas ». 14Il s'avança et toucha le cercueil ; ceux qui le portaient s'arrêtèrent ; et il dit : « Jeune homme, je te le dis, sois relevé ». 15Alors le mort s'assit et se mit à parler. Et Jésus le donna à sa mère. 16Tous furent saisis de crainte, et ils rendaient gloire à Dieu en disant : « Un grand prophète s'est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple ». 17Et ce propos sur Jésus se répandit dans toute la Judée et dans toute la région. 

Julie : Quelle est votre assurance pour la retraite ? Ou, si vous êtes retraité, de quoi vivez-vous ? Avez-vous une assurance-vie ? Des actions ? Un plan d’épargne ? Avez-vous plutôt préféré investir dans l’immobilier ? Ou bien comptez-vous sur les cotisations ? Vivez-vous tant bien que mal d’une petite retraite ? Aujourd’hui, cette question ne concerne pas seulement les personnes en fin de carrière. Dès la fin des études, ou de la formation professionnelle, la perspective de la vie après la retraite fait des années de cotisation un enjeu crucial pour les jeunes actifs. Sans entrer dans les détails, un de mes grands soucis actuels, c’est d’avoir un emploi qui ne me permet pas de cotiser pour mes vieux jours. Et j’ai à peine 31 ans ! Les débats actuels sur la réforme des retraites suscitent déjà beaucoup d’inquiétudes. Alors imaginez-vous si, demain, la crise économique que traverse le monde empirait : les banques font faillite, le marché de l’immobilier s’effondre, les actions ne valent plus rien, et, d’un instant à l’autre, nous perdons tout. Nous voici sans aucune perspective d’avenir, sans aucun moyen de pourvoir aux besoins les plus essentiels.

Hyonou : C’est exactement ce qui vient d’arriver à cette veuve de la petite ville de Naïn. Bien sûr, la Bible ne nous parle pas de banques, d’actions ou de système de retraite - pour la bonne raison que toutes ces choses n’existaient pas en Galilée au temps de Jésus. Comme c’est encore le cas dans certains pays pauvres, l’unique assurance vieillesse était d’avoir des enfants qui pourraient prendre soin de leurs parents devenus âgés. En perdant son fils unique, la veuve a tout perdu : non seulement son mari, déjà mort depuis quelque temps, non seulement un enfant qu’elle aimait, mais aussi son seul moyen de survie. Elle est comme l’un de ces rescapés d’une catastrophe naturelle qui, en quelques secondes, n’ont plus rien : ni maison, ni famille, ni travail ; plus rien d’autre que leur propre vie et la terreur face à un avenir qui n’est plus un horizon plein de promesses, mais un horrifiant trou noir.

J. : Comme toutes les grandes catastrophes, le deuil de la veuve de Naïn provoque un élan de solidarité fragile où les autres habitants de la ville offrent ce qu’ils peuvent offrir, c’est-à-dire leur présence et leur compassion. Ils l’entourent et l’accompagnent jusqu’à la porte de la ville – le lieu qui sépare le monde des hommes et le monde des bêtes sauvages, le monde des vivants et le monde des morts. Au centre de ce cortège, il y a ce cercueil contenant ce fils unique : cet espoir à enterrer, cette amitié fanée avant d’avoir pu s’épanouir, cette force brisée avant d’avoir pu participer à la vie de la cité. Et chacun des membres de ce cortège funèbre peut s’identifier à la souffrance de la veuve : demain, cela pourrait être mon tour. Ce cortège pourrait aussi être le nôtre. Au fond, nous partageons une même conception de la vie et de ce qui en fait la saveur que les habitants de Naïn : des relations humaines épanouissantes, une famille aimante, un travail qui nous fait vivre et nous prépare une retraite confortable. Dans cette conception, même Dieu, lorsque nous sommes croyants, n’est qu’un des accessoires nécessaires à notre bien-être. Et nous aussi, nous vivons avec la perpétuelle crainte, non exprimée mais bien présente, de la perte, de la séparation, du deuil, parce que nous sommes conscients du caractère transitoire de ce que nous aimons et que sa fin inévitable nous apparaît comme la fin de notre propre vie. « Si tu mourrais, je n’y survivrais pas. » « Si je perdais mon travail, ma vie n’aurait plus de sens. » « Si j’étais atteint de telle maladie, j’aimerais mieux mourir que vivre la lente descente aux enfers de mon organisme. » Dans cette perspective, notre vie ressemble à ce cortège se dirigeant vers le rocher qui fermera la tombe de tout ce qui compte pour nous.

H. : Mais en face de ce cortège de mort, un autre cortège apparaît. Il traverse le désert et s’approche de la ville, venu de nulle part. Si l’on peut décrire le cortège de mort comme le cortège de ceux qui s’attachent à tout, sauf à Dieu, l’autre cortège qui vient à sa rencontre est composé d’hommes et de femmes qui ont tout abandonné pour suivre l’homme de Dieu. Répondant à un appel, ils ont quitté leurs proches, leurs villes, leurs synagogues ; ils ne possèdent rien ; ils vivent sur les chemins, ne sachant pas le matin où ils dormiront le soir ; quand ils ont faim, ils arrachent des épis de blé dans les champs et les mangent crus. (J’espère que la vie dans le Val-de-Travers sera tout de même un peu moins difficile.) Au centre de ce cortège se trouve, non pas un cercueil, mais Jésus : celui qui, au matin de Pâques, vaincra définitivement la mort. Imaginez-vous ces deux cortèges face à face, à la porte de la ville : le cortège de la mort et le cortège de la vie. « Ne pleure pas », dit Jésus à celle qui a tout perdu. Dans une telle situation, cette parole est profondément choquante. Vous connaissez sans doute le verset de Jérémie : « Dans Rama, on entend une voix plaintive, des pleurs amers : c’est Rachel qui pleure ses enfants, et elle refuse d’être consolée, car ses enfants ont disparu » (Jr 31,15). Ce verset aurait pu être écrit pour cette veuve. Et un inconnu vient lui dire : « Ne pleure pas » ! Rien n’aurait été plus incongru, plus déplacé que cette parole, si elle n’avait pas été suivie du geste inattendu de Jésus : il touche le cercueil, le cortège suspend sa marche, et l’inimaginable se produit. Sur l’ordre de Jésus, le mort se relève et il parle.

J. : Que vient de faire Jésus ? Il vient de faire quelque chose de beaucoup plus important que de ressusciter un mort. Il a, nous dit l’évangile, donné le fils à sa mère. La veuve n’est plus seule au monde et sans avenir. Pourtant, elle n’est pas simplement revenue à sa vie d’avant. Un aspect essentiel a changé. Elle ne peut plus continuer à vivre comme si son enfant n’était que sa « production » (le « fruit de ses entrailles », comme disent les Psaumes), l’unique membre de sa famille, son assurance vieillesse, le support sur lequel elle projette tous ses rêves d’avenir. Son enfant est désormais, avant tout, le don de Dieu. A travers ce don, la veuve reçoit son avenir différemment : ce n’est plus celui qu’elle avait imaginé et planifié, mais celui que Dieu lui donne comme une grâce. A travers ce don, sa relation à son fils passe maintenant par le Christ : à chaque moment où elle vivra la présence de son enfant comme un cadeau, là sera aussi présent le Christ, en qui la vie est plus forte que la mort. Ouvrons une parenthèse : pourquoi avons-nous été baptisés ? Pourquoi continuons-nous à demander le baptême de nos enfants ? C’est parce que, dans ce sacrement, nous reconnaissons que la vie qui naît n’est pas le produit de notre initiative, mais un don qui nous est confié. Nous aussi, un jour, nous avons été portés par un cortège de vie vers ce Dieu qui nous a offert à nos parents, à nous-mêmes, d’une manière nouvelle.

H. : Et il ne s’agit pas que du baptême, mais de toutes les dimensions de notre vie, par exemple la préoccupation concernant notre vieillesse, qui peut nous paraître éminemment profane. Nous avons un choix à faire : voulons-nous porter notre vie, avec toutes ses facettes, comme un fardeau à assumer ou comme un trésor qui nous aliène ? (Et souvenons-nous de l’avertissement que Jésus nous donne dans l’évangile de Matthieu [6,20] : « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur ».) Ou bien voulons-nous, au contraire, la laisser toucher par la main de Dieu afin qu’elle nous soit donnée, à chaque moment, comme un cadeau inattendu ? C’est peut-être là le plus grand engagement de la vie chrétienne : ne pas aborder l’existence comme si elle nous appartenait, comme si elle n’était faite que de nos projets, nos relations, nos initiatives, nos visions d’avenir. Bien sûr, il doit y avoir des projets, des relations, des initiatives et des visions d’avenir dans nos vies. Mais gardons-nous de les vivre comme s’ils en étaient la finalité ; sinon, notre existence toute entière ne serait qu’un long cortège de mort se dirigeant inexorablement vers le tombeau. Nos engagements doivent être différents : ils ne sont pas les nôtres, ils sont ultimement les engagements de Dieu à travers lesquels nous recevons notre vie comme un cadeau. Dans l’évangile d’aujourd’hui, le cortège de la vie absorbe le cortège de la mort pour n’en faire plus qu’un. Et au centre de ce cortège se trouve le Christ, mort pour nous sur la croix, ressuscité pour vaincre la mort à jamais, qui nous donne nos existences et nous donne aussi les uns aux autres. Et la vie chrétienne consiste à participer à ce cortège de la vie qui engloutit définitivement le cortège de la mort. Faisons un pas pour entrer dans ce cortège de la vie - avec l’aide de Dieu !

Amen.