vendredi 25 octobre 2013

Je suis chrétien réformé, et donc catholique

Une appellation est souvent ambigüe. Je me comprends comme chrétien de la confession réformée, mais je suis bel et bien conscient du fait que d'autres Eglises, dont l'Eglise catholique romaine, n'ont cessé de connaître des réformes.

Le mot "catholique" comporte la même ambiguïté. Il est certes l'adjectif qui qualifie une Eglise particulière, très souvent l'Eglise catholique romaine et parfois l'Eglise catholique chrétienne. Mais il signifie avant tout l'universalité de l'Eglise : selon la conception géographique comportant l'idée de toute la création, et selon la conception de la totalité de l'enseignement préservé. Alors, quelle Eglise ne voudra-t-elle pas être catholique ? Ne croyons-nous pas, selon le symbole de Nicée-Constantinople (une des confessions de foi les plus partagées dans le monde entier), en l'Eglise, une, sainte, catholique et apostolique ?

Un ouvrage qui vient de paraître ouvre ce dossier à nouveaux frais mais dans une perspective résolument œcuménique : Vers une catholicité œcuménique ?, Fribourg, Academic Press, 2013 (vous pouvez en avoir un aperçu sur le site internet de la maison d'édition, en cliquant sur le titre du livre). Il s'agit des actes d'un colloque international qui a eu lieu il y a quelques années, et on dirait que la date de la parution est un clin d'œil à la 10e assemblée du Conseil œcuménique des Eglises qui débutera la semaine prochaine à Busan en Corée du Sud.

mercredi 16 octobre 2013

On ne sème pas la plante adulte !


"Terre Nouvelle" est un service qui fait le lien entre chaque Eglise en Suisse romande et les Œuvres des Eglises protestantes en Suisse. Le samedi 12 octobre, l'équipe "Terre Nouvelle" de la paroisse du Val-de-Travers a célébré un culte en présence des représentants de l'Eglise presbytérienne de l'Ile Maurice qui nous ont apporté des témoignages de leurs vies et projets de l'Eglise.

Voici la prédication prononcée à ce culte. Le texte proposé cette année par le service "Terre Nouvelle" se trouve dans l'Epître de Paul aux Corinthiens (1Co 15,37-41 : 37Et ce que tu sèmes n’est pas la plante qui doit naître, mais un grain nu, de blé ou d’autre chose. 38Puis Dieu lui donne corps, comme il le veut et à chaque semence de façon particulière. 39Aucune chair n’est identique à une autre : il y a une différence entre celle des hommes, des bêtes, des oiseaux, des poissons. 40Il y a des corps célestes et des corps terrestres, et ils n’ont pas le même éclat ; 41autre est l’éclat du soleil, autre celui de la lune, autre celui des étoiles ; une étoile même diffère en éclat d’une autre étoile.)

***

Pour la jeune communauté chrétienne à Corinthe, à laquelle l’apôtre Paul a écrit le passage que nous venons d’écouter, l’idée de la résurrection causait apparemment des problèmes. Il y avait en effet des gens qui se demandaient avec quel corps nous allons être ressuscités. Entendons ici par le mot « corps », pas seulement cet aspect en chair et en os, mais tout ce qui fait un être humain en tant qu’une personne qu’on peut appeler par un nom (Julie, René, Francine, Kelly, Natacha...). Si je me permets de traduire la question qui a préoccupé l’Église de Corinthe et l’apôtre Paul il y a environ 2000 ans en langue moderne, voici une version possible : après la résurrection, est-ce que je serai toujours moi ? environ 1m60, myope, les yeux bridés, pas trop nul avec une raquette de ping-pong ? est-ce que je serai toujours ce moi, qui est enveloppé d’une grande bulle de souvenirs comme mon histoire personnelle et qui ne cesse de former de petits et grands projets pour demain, pour la semaine prochaine, pour l’été prochain, pour mes enfants, pour mes petits-enfants ?
Pour donner une réponse à cette question, l’apôtre Paul fait une comparaison avec le monde naturel. D’abord, il parle d’une plante et d’une graine, afin de dire qu’il s’agit de l’affaire de Dieu dans la question de la résurrection. Ensuite, il énumère la diversité dans la création.

Au cœur de cette analogie, il y a l’image d’une plante et d’une graine : on ne sème pas la plante qui va pousser, mais une graine. Le grain « meurt », comme on le disait à l’époque, pour qu’il y ait une autre vie. Nous ne pouvons pas exiger de Paul et ses contemporains l’étendue des connaissances botaniques que nous avons aujourd’hui. Intéressons-nous seulement à ce que l’apôtre veut dire par là. En effet, il s’oppose ici à une conception populaire à son époque concernant la vie et la mort. On pensait volontiers qu’il y avait un cycle de la vie et de la mort. Le monde est pendant un certain moment dans un déclin, vers la détérioration ; et quand il a touché le fond, il remonte vers l’amélioration, s’épanouissant jusqu’à son apogée ; et hop, il décline de nouveau, et ainsi de suite. Dans ce monde, un individu répète aussi le même mouvement : il arrive un jour dans ce bas monde ; il mène une vie, bon an mal an, mais en tout cas, avec toutes les limites et contraintes qu’un monde matériel lui impose, il va vers la mort ; la mort libère son âme de sa condition matérielle afin qu’elle remonte vers le monde du haut ; et hop, elle doit redescendre, et ainsi de suite. De nos jours, on a l’impression que cette ancienne conception cyclique de la vie et de la mort est de nouveau à la mode avec une touche un peu plus exotique qu’on appelle la réincarnation : à la fin de cette vie, ce que je suis serait incarné dans une nouvelle forme de vie, humaine ou autre.
Je n’ai jamais été mort, en tout cas en tant que Hyonou Paik que vous voyez maintenant. Je n’ai donc aucun moyen de vérifier si cette conception de la vie et de la mort est vraie ou fausse. Je n’ai aucun moyen concret pour convaincre qui que ce soit que cette conception est juste ou fausse. Mais avec l’apôtre Paul, je choisis de ne pas croire à cette manière de voir la vie et la mort, car dans le monde que je viens de décrire, il n’y a pas de Dieu. Plus exactement, nous n’avons pas besoin de Dieu. Le monde se suffit à lui-même. Je me suffis à moi-même.
Or, la vie, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth, que nous reconnaissons comme le Christ, nous apprennent que nous ne sommes pas condamnés à ce cycle de la vie et de la mort. Nous ne sommes pas condamnés à répéter ce que nous sommes. Jésus, celui qui a voulu vivre jusqu’au bout le règne de Dieu, est mort sur la croix ; nous, les êtres humains, nous ne voulons pas que Dieu règne dans notre vie. Mais Dieu a ressuscité ce Jésus et dit par cet événement : « c’est cette vie-là que j’approuve ; c’est pour cette vie-là que j’ai vous créés ; c’est à cette vie-là que je vous appelle ». Vous vous souvenez de multiples récits qui racontent de l’apparition du Christ ressuscité : tombeau vide, disciples vers Emmaüs, pêche miraculeuse… Les disciples reconnaissent que c’est lui. Mais les récits qui en témoignent nous font entrevoir que, dans cet événement de la résurrection, la vie déborde de partout, au point que notre langage ne peut contenir cette explosion de vie en un seul récit cohérent.
Dans notre vie, il y a des moments où on fait une expérience de résurrection : une amitié qui naît d’un tas de cendre ; un sourire qui fleurit après une longue période de tristesse ; les arbres qui bourgeonnent au printemps ; un gâteau qui sort du four magnifiquement cuit malgré l’incertitude du cuisinier ; un cœur qui s’ouvre au pardon ; un élan de solidarité qui surgit au milieu d’un désastre ; une identité retrouvée mais différemment au bout d’un tunnel… Et vous, où avez-vous aperçu la dernière fois le signe du débordement de la vie malgré vous ? L’espérance chrétienne consiste à se réjouir dès maintenant de la résurrection que Dieu prévoit pour la création toute entière dans son royaume. Elle croit que ce que nous percevons comme des événements qui nous relèvent sont des préfigurations de la résurrection à venir. Nous nous reconnaitrons, nous serons toujours nous-mêmes. Mais nous porterons la vie pour laquelle Dieu nous a créés ; nous serons ce que nous sommes de manière vraie.

De ce point de vue, l’Église est le rassemblement de celles et ceux qui proclament et vivent cette Bonne nouvelle : que nous ne sommes pas condamnés à répéter ce que nous sommes. On ne sème pas la plante adulte. Je suis une graine à laquelle Dieu donne un corps. Nous sommes des semences avec lesquelles Dieu rend le monde riche en couleurs. 
Et c’est vrai aussi pour l’Église elle-même. Elle n’est pas une plante qui doit être semée pour repousser comme elle est. L’Église d’aujourd’hui n’est pas identique à celle d’hier ; l’Église de demain sera sans doute différente de celle d’aujourd’hui. La Bonne nouvelle, encore une fois, c’est que c’est Dieu qui s’en occupe. Nous, nous vivons cette Bonne nouvelle en nous réjouissant des petits gestes qui nous sont permis : répandre, en signe de surabondance, quelques petites graines de nos mains sur la terre.
Selon le terreau, la graine poussera avec telle ou telle forme, avec telle ou telle couleur. C’est Dieu qui s’en occupe. Nous ne sommes pas condamnés à cloner à l’infini les plantes de notre jardin. A l’île Maurice, Dieu cultive des Églises aux couleurs mauriciennes ; en Inde, des Églises aux couleurs indiennes. Ainsi, les préoccupations et les projets des Églises là-bas peuvent être différents des nôtres, mais nous reconnaissons que ce sont les Églises de notre Seigneur ; non pas « notre » mais notre Seigneur, le créateur du ciel et de la terre. Nous semons ensemble au nom du Seigneur. Notre Seigneur, c’est le Semeur qui est venu parmi nous pour devenir la semence de notre vie. Elle travaille déjà dans le sol. Nous sommes les semences de Dieu qui sèment à leur tour, dans la mesure de leurs moyens, les graines du Royaume à venir. Nous ne savons pas encore comment la Terre nouvelle sera, mais elle sera remplie de fleurs dont la beauté dépasse notre imagination. Nous serons ressuscités. Il est temps de le vivre.

mercredi 2 octobre 2013

Méditation sur Jérémie 31 (versets 1-6, 10-14 et 31-34)


Contexte : cette méditation – à deux voix – a été partagée dans le cadre d'un culte où on a apporté les échos d'un camp organisé quelques semaines auparavant ; il s'agissait d'un camp intergénérationnel.

(Julie)

« Jeunes et vieux se réjouiront ensemble, » nous dit Jérémie. « Ils affluent vers les biens du Seigneur, vers le blé, le moût et l’huile fraîche, vers le petit et le gros bétail. Ils se sentent revivre comme un jardin bien arrosé ». Se réjouir ensemble de la générosité d’un Dieu qui nous comble de ses biens, c’est certainement ce que nous avons fait lors de ces quelques jours. Je garde le souvenir de ces moments simples où nous nous sommes retrouvés dans le plaisir que donne un bouquet de fleurs fraîches harmonieusement disposées, un bon repas partagé dans l’amitié, une marche sous la pluie dans une forêt de hêtres parfois traversée d’un rayon de soleil, une histoire racontée au coin du feu de camp qui émerveille petits et grands.

Mais, dans la Bible comme dans notre vie, se réjouir des choses simples ne va pas toujours de soi. Dans le livre de Jérémie, les paroles que nous avons entendues sont une sorte de pause lumineuse dans un discours bien sombre. Désolation, ruine, malédiction : ce n’est pas pour rien qu’en français, la plainte est parfois appelée « jérémiade » ! L’histoire que raconte Jérémie semble traversée par le ressentiment. Dieu s’est senti délaissé par Israël ; Israël s’est senti abandonné par Dieu ; la rancœur à l’égard de l’autre, et parfois de soi-même, engendre violence et sentiment de culpabilité. Ce sont des situations que, je crois, nous connaissons tous : dans nos couples, dans nos amitiés, au travail ou dans notre vie d’église...

Heureusement, nous dit Jérémie, dans notre chemin avec Dieu, ces situations sont appelées à disparaître. Dieu propose un nouveau départ que Jérémie appelle la nouvelle alliance : « Je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être ; je deviendrai un Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi » (31,33). Lorsque nous avons médité ce texte ensemble, un autre mot s’est imposé pour dire la même chose : celui de « confiance ». Jérémie nous invite à faire, à refaire confiance à Dieu au-delà des difficultés, comme Dieu nous fait et nous refait confiance sans relâche. Nous avons beaucoup parlé, autour de ce texte, du rapport aux enfants. Tous les parents présents ont dit deux choses essentielles : leur soutien inconditionnel à leurs enfants, et leur fierté de les voir grandir dans la confiance pour devenir, peu à peu, des partenaires. Dans la nouvelle alliance, Dieu nous donne son soutien inconditionnel ; il nous appelle à grandir dans la confiance et à devenir ses partenaires de celles et ceux qu’il nous donnes comme sœurs et frères. C’est un appel pour l’avenir, mais c’est aussi et déjà une réalité dont nous avons pu constater, pendant trois jours, qu’elle est bien présente et qu’elle est bonne.

(Hyonou)

« Un appel pour l’avenir mais déjà une réalité », vient de dire Julie. Cela me rappelle une question qui a surgi pendant la méditation du texte dans mon groupe : la promesse de Dieu décrite dans la prophétie de Jérémie, où en est-elle ? Elle parle du rassemblement de toutes les familles d’Israël marchant vers un avenir de fête, de l’épanouissement de tous, jeunes et vieux, de la transformation du deuil en joie, de la connaissance de Dieu inscrite dans le cœur de chacun, petits et grands. L’un des participants de mon groupe nous a fait remarquer que le sort du pays d’Israël aujourd’hui ne correspondait pas complètement à cette image d’un peuple renouvelé et rendu fidèle à Dieu ; un autre, que cette image ne correspondait pas au peuple chrétien non plus, qui marche à la suite du peuple d’Israël comme un messager parmi les peuples de toute la création.

La prophétie de Jérémie nous semble en effet décrire une facette de ce que nous espérons et attendons : le royaume de Dieu, ou le règne de Dieu. La « nouvelle alliance » qu’elle annonce ne signifie pas un simple renouvellement de l’alliance jadis conclue et, par malheur, brisée à un moment donnée, à l’instar d’un contrat de travail ou d’assurance qu’on signe ou qu’on annule selon les circonstances. Cette alliance est nouvelle car elle est la promesse d’une transformation radicale, qui arrivera à la fin des temps, de ce qu’on comprend, devine ou imagine concernant la relation entre Dieu et nous.

Quelles sont vos images du royaume de Dieu ? A votre avis, selon votre foi, comment iront les choses dans le royaume de Dieu à la fin des temps ? Un royaume de paix ? de justice ? de vie ? d’amour ? d’une vraie humanité ? Oui, sans doute, tout cela. Mais l’ennui, c’est que nos conceptions de paix, de justice, d’amour, d’humanité, sont multiples et divergent souvent, au point que nous provoquons même la violence au nom de la paix, l’iniquité au nom de la justice, la souffrance au nom de l’amour… Nous ne sommes pas encore dans le royaume de Dieu.

Mais nous devons affirmer en même temps que nous sommes déjà dans le royaume de Dieu. Nous sommes celles et ceux qui reconnaissent comme notre Seigneur celui qui a montré, par sa vie, sa mort et sa résurrection, que c’est Dieu qui règne dès ici bas, dès maintenant. De ce point de vue, l’Église n’existe pas seulement pour faire quelque chose pour le royaume de Dieu à venir, mais elle est là aussi – peut-être avant tout – pour le vivre. Ce que nous vivons comme joie, justice ou paix est l’avant-goût, le reflet du royaume de Dieu. L’Église est le rassemblement de celles et ceux qui espèrent quelque chose d’inimaginable à partir de cet avant-goût qui advient dans notre vie. Pendant le camp à Prêles, jeunes et vieux, en riant ensemble, je crois que nous avons vécu le signe du royaume à venir décrit par Jérémie. Petits et grands, en accueillant mutuellement, nous sommes appelés à être témoins de la fête à venir les uns pour les autres.