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vendredi 8 novembre 2013

Busan, c'est fini...

Il est bientôt minuit ici en Corée, et la 10ème assemblée du COE s'est achevée dans l'après-midi, dans un état de grande fatigue pour la plupart des participants (journalistes suisses compris).


Que retenir de cette première expérience d'un grand rassemblement œcuménique ? Il me faudra sans doute du temps pour assimiler, digérer et faire mon miel de tout ce que j'ai reçu et vécu. Mais voici déjà quelques points qui me restent ce soir : 


La fraternité
Une assemblée du COE, c'est une extraordinaire expérience de fraternité - et, en tant que femme, je dirais volontiers aussi de sororité. Dans une atmosphère de grande bienveillance, chacun sourit, salue, a un petit mot aimable pour l'autre. La confiance s'installe très vite entre deux inconnus ; beaucoup n'hésitent pas à dévoiler leur vulnérabilité, à partager des histoires de vie parfois douloureuses, à demander conseil. J'ai été particulièrement frappée par la dimension concrète, tactile, de cette fraternité : ici on s'embrasse, on s'enlace, on se tient la main, on se regarde dans les yeux. Il n'y a pas de réserve ou de fausse pudeur, mais l'expression à la fois très simple et presque miraculeuse d'un amour qui nous unit tous, qui nous dépasse tous.


La Pentecôte
Je ne viens pas d'une tradition charismatique. L'expérience du parler en langues m'est étrangère (et j'avoue un petit pincement d'envie en entendant des frères et sœurs pentecôtistes raconter la survenue irrésistible de l'Esprit Saint). La prière commune durant ces 10 jours d'assemblée est probablement, pour moi, ce qui se rapproche le plus de cette expérience. Des centaines de langues sont représentées parmi les participants, et la récitation du Notre Père, chacun dans sa langue, fait vibrer la salle de prière dans une atmosphère de Pentecôte. Chaque jour, c'est peut-être à ce moment que la diversité de l'Eglise universelle s'est manifestée pour moi le plus clairement.


La prière
Elle est omniprésente. Chaque jour, chaque séance de travail, chaque étude biblique commence et s'achève par une prière. Liturgies du matin et du soir, prières spontanées des modérateurs de séance ; mais aussi prières inattendues, moments de recueillement partagés autour d'un café ou au coin d'un stand, bénédictions données au détour de couloirs d'hôtel. Autant d'instants précieux, parfois étranges ou déroutants, mais jamais intrusifs ou malvenus.


La remise en question
Elle est parfois violente, surtout pour les délégués venus de pays privilégiés d'Occident. Il est dur d'entendre une pasteure sud-africaine atteinte du sida prendre la parole en plénière pour dire : "Vous les délégués de pays riches, je veux que vous sachiez que c'est à cause de gens comme vous que les gens comme moi meurent." Il est dur d'entendre le démontage en règle des lois économiques injustes imposées par les pays développés pour favoriser leurs propres marchés au détriment des plus pauvres. Il est dur d'entendre une collègue journaliste d'un pays du Sud raconter avec le sourire, presqu'en s'excusant, la censure, le pillage des locaux de la radio où elle travaille, les conditions invraisemblables dans lesquelles elle doit faire parvenir ses chroniques quotidiennes, et conclure : "Que voulez-vous, la mentalité coloniale et les passe-droits des Blancs posent encore tellement de problèmes…" Il est dur d'entendre tant de témoignages d'indifférence (au mieux), d'abandon ou même de cruauté (au pire) et de soutenir le regard de celui qui vous demande en face : "Et vous, qu'avez-vous fait pour moi ?" 


Le col clergy(wo)man
Il n'y a finalement qu'en Europe qu'on en voit rarement ! Il est omniprésent à l'assemblée, chez les ecclésiastiques de tout genre et de toute confession, et certaines dames le portent avec beaucoup de classe.



dimanche 12 février 2012

Je crois en Dieu, le Père tout-puissant...

Que fait-on quand on confesse sa foi ?
Peut-être, avant d’aller plus loin, serait-il utile de rappeler qu’on peut entendre deux choses par « confession de foi ». Il y a d’abord la confession de foi qu’on pourrait dire « théologique » ; c’est celle par laquelle un individu, ou un groupe d’individus, ou une institution, pose un certain nombre d’affirmations théologiques qui définissent le contenu concret de la foi et auxquelles on suppose l’adhésion des membres du groupe. Par exemple, l’Eglise réformée de France a un texte (la Déclaration de foi, voir la partie "texte de 1936) qui joue ce rôle et dont voici un extrait :

Dans la communion de l’Église universelle, elle [l’ERF] affirme la perpétuité de la foi chrétienne, à travers ses expressions successives, dans le Symbole des Apôtres, les Symboles œcuméniques et les Confessions de foi de la Réforme, notamment la Confession de La Rochelle ; elle en trouve la source dans la révélation centrale de l’Évangile : Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.
Avec ses Pères et ses Martyrs, avec toutes les Églises issues de la Réforme, elle affirme l’autorité souveraine des Saintes Écritures telles que la fonde le témoignage intérieur du Saint-Esprit, et reconnaît en elles la règle de la foi et de la vie ; Elle proclame devant la déchéance de l’homme, le salut par grâce, par le moyen de la foi en Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, qui a été livré pour nos offenses et qui est ressuscité pour notre justification ; ...

En ce qui concerne la confession de foi qui est dite au cours du culte, elle a une dimension supplémentaire. Elle ne se contente pas seulement d’énumérer des points qui définissent le contenu de la foi. Pourtant, on en a souvent l’impression. Lisons par exemple l’une des confessions de foi les plus anciennes et les plus souvent utilisées, le Symbole des Apôtres, dont l’origine remonte aux tous premiers siècles du christianisme et que vous connaissez sûrement :

Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ;
Je crois en Jésus-Christ, son fils unique, notre Seigneur,
Qui a été conçu du Saint-Esprit et qui est né de la vierge Marie ;
Il a souffert sous Ponce Pilate, il a été crucifié, il est mort, il a été enseveli, il est descendu aux enfers ;
Le troisième jour, il est ressuscité des morts, il est monté au ciel, il siège à la droite de Dieu, le Père tout-puissant, et il viendra de là pour juger les vivants et les morts ;
Je crois en l’Esprit Saint, je crois la sainte Eglise universelle, la communion des saints, la rémission des péchés, la résurrection de la chair et la vie éternelle. Amen.

Est-ce que ce texte n’est pas lui aussi une liste de contenus essentiels de la foi, auxquels on nous demande notre adhésion ? Qu’est-ce qui fait la différence avec le premier texte que j’ai lu tout à l’heure ? J’entends régulièrement des gens dire qu’ils ont des difficultés, par exemple, avec telle ou telle confession de foi lue au culte, parce qu’ils ont personnellement du mal à croire à un des articles de foi - que ce soit la conception divine de Jésus, la virginité de Marie, on encore la résurrection. A mon avis, dire cela manque quelque chose de ce qu’est la foi confessée et proclamée lors du culte. Ce type de remarque serait plutôt pertinent pour la première catégorie de confession de foi que j’ai mentionnée et qui, elle, marque des frontières. On ne peut pas, par exemple, devenir pasteur de l’Eglise réformée de France si l’on croit que l’enseignement de Bouddha contient l’ultime vérité sur notre monde et nous-mêmes. Mais quand je confesse ma foi en Eglise, je ne passe pas en revue une sorte de « check-list » qui déterminerait mon degré d’orthodoxie ou d’hérésie. La confession de foi est alors à la fois une démarche de confiance et une démarche communautaire. Je vais rapidement développer ces deux points.

Quelqu’un m’a dit récemment : « Avec le temps qu’il fait en ce moment, la neige, la bise, les températures négatives, on a de la peine à croire que l’été existe ». Imaginez quelqu’un qui n’aurait jamais connu que l’hiver et qui n’aurait jamais quitté sa maison sans ses gants, son bonnet et son anorak, et à qui quelqu’un décrirait l’été : comment pourrait-il concevoir une saison où il fait toujours chaud, où on sort de chez soi en T-shirt, où on mange des glaces et où on va à la plage ? Il lui faudrait avoir une grande confiance dans son interlocuteur pour pouvoir lui répondre : « Oui, c’est vrai ». Cet exemple météorologique pourrait être une métaphore de la confession de foi en Eglise. Quand je confesse ma foi, je m’adresse à moi-même, et j’affirme, pour reprendre une expression de Nouveau Testament, que « Dieu est plus grand que mon cœur » (1 Jn 3,20) : même si j’ai de la peine à croire, même si j’ai connu tant de souffrances que la résurrection des morts me paraît impensable, même si mon esprit cartésien se rebelle contre la conception virginale de Jésus, Dieu ne dépend pas de moi. Mes propres sentiments ne peuvent pas définir Dieu. Dieu est au-delà de mes difficultés à croire ; il m’accueille tel que je suis, avec mes incertitudes et mes doutes, et je peux lui faire confiance. Confesser ma foi, c’est me redire à moi-même que Dieu est plus grand que mon cœur. C’est prendre le risque de dire : « Oui, c’est vrai », même si je n’ai jamais connu que l’hiver et que j’ai bien du mal à croire à l’été.

Quand je confesse ma foi, c’est aussi à mes frères et sœurs qui m’entourent que je m’adresse, et eux qui s’adressent à moi. La confession de foi manifeste l’appartenance à l’Eglise universelle. En la disant, je fais corps avec ceux qui la disent avec moi, mes voisins de banc, mais aussi les chrétiens rassemblés à travers le monde en même temps que moi et les générations de ceux qui ont confessé leur foi, avec les mêmes mots ou des mots proches, depuis les premiers jours de l’Eglise. Confesser ma foi, c’est faire l’expérience de cette immense communauté dont je fais partie et qui me porte, au-delà de mes incompréhensions. Dans son livre intitulé Le sens du culte, le pasteur Antoine Nouis rapporte une anecdote. Lors d’un enterrement douloureux auquel il s’était rendu, l’enterrement d’un enfant, les parents avaient demandé que l’on dise le Symbole des apôtres. Et, dit Antoine Nouis, « ce jour-là, lorsque l’assemblée a récité le Symbole des apôtres, j’ai éprouvé quelque chose qui ressemble à la communion des saints, j’ai confessé la foi de l’Eglise, j’ai entendu que l’espérance chrétienne était au-delà de ce qu’on pouvait ressentir à ce moment. Malgré le scandale de la mort d’un enfant, l’Eglise toute entière affirmait sa foi et son espérance : ce n’était pas l’assemblée qui disait le credo, c’était le credo qui portait l’assemblée. »

Confesser sa foi, c’est donc affirmer sa confiance en Dieu en communauté. On pourrait ajouter un point supplémentaire. Je viens de dire qu’en confessant ma foi, je m’adresse à moi-même et à mes frères et sœurs. Evidemment, ce n’est pas tout : je m’adresse aussi à Dieu. Dans l’évangile selon Marc, l’évangéliste rapporte l’histoire d’un père et de son fils possédé par un démon. Ce père se tourne vers Jésus pour tenter d’obtenir la guérison de son enfant : « “Si tu peux quelque chose, viens à notre secours, par pitié pour nous. ” Jésus lui dit : “Si tu peux ! ... Tout est possible à celui qui croit.” Aussitôt le père de l'enfant s'écria : “Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi !” » (Mc 9, 22-24). Comme dans ce récit biblique, en confessant ma foi, je reconnais aussi les manques et les limites de ma foi personnelle et je demande à Dieu de m’aider à les surmonter. Et comme dans le récit biblique, c’est Dieu lui-même qui parcourt la plus grande partie du chemin pour venir à ma rencontre, à mon secours.

mardi 29 mars 2011

Bavarder sur Dieu ?

"Qu'avons-nous dit, [...], ou que dit-on, quand on dit de toi ? Et malheur à ceux qui se taisent sur toi, puisque, bavards, ils sont muets (quid diximus, [...], aut quid dicit aliquis, cum de te dicit ? et uae tacentibus de te, quoniam loquaces muti sunt)" (Augustin, Confessions, I, iv, 4).
Cette phrase m'a surpris hier. Augustin développe un long paragraphe sur les aspects "contradictoires" chez Dieu : il est à la fois miséricordieux et juste, complètement caché et très présent, jamais neuf et jamais vieux, toujours en action et toujours en repos, etc. Tout concourt pour que nous reconnaissions que notre langage est si faible et inapproprié pour décrire Dieu que nous n'avons pas d'autre choix que de nous taire sur Dieu. En pensant parler de Dieu, nous parlons sans doute de tout autre chose que de Dieu.

La conclusion aurait dû être plutôt : malheur à ceux qui parlent de toi. Par ailleurs, à côté de la tradition théologique "parlante", était et est toujours présente une autre tradition qui privilégie le silence concernant Dieu.

Mais ce Dieu, aussi contradictoire et insaisissable qu'inexprimable dans notre faible langage humain, manifeste sa contradiction au plus haut point dans le fait qu'il se donne à notre pensée et à notre langage. Il n'a pas besoin de nous qui parlons de lui, mais il veut que nous parlions de lui ; il n'a pas besoin de notre amour, mais il veut que nous l'aimions. Il est un Dieu qui a "décidé" de ne pas être seul, de ne pas être sans l'être humain.

Ainsi, Augustin peut dire que ceux qui se taisent sur Dieu sont bavards sur tout sauf Dieu et qu'ils oublient le caractère de don, de pure grâce de notre existence dans nos paroles. Si imparfait que ce soit, notre langage est un don gratuit. Avec notre langage, nous serons toujours bavards. La question est : de quoi et comment bavarderons-nous ?