mardi 12 avril 2011

Chanter avec une partition

Personne ne sait la souffrance que j’ai vue, personne sauf Jésus
Personne ne sait la souffrance que j’ai vue, gloire alléluia !
(Nobody knows the trouble I've seen, nobody know but Jesus
Nobody know the trouble I've seen, Glory Hallelujah!)

Le refrain de ce negro-spiritual, chant des noirs américains au temps de l’esclavage, est quelque peu déconcertant. Il semble passer du coq à l’âne. L’exclamation « gloire, alléluia » suit sans aucune transition le cri de souffrance. Les paroles que, pour le moins, nous hésiterions à prononcer dans une telle situation, nous les chantons ; ou plus exactement, le chant nous les fait chanter. Ce serait d'ailleurs drôle de voir un chanteur s'arrêter de chanter chaque fois que la partition qu'il chante le fait réfléchir. Une partition nous permet de chanter quelque chose avant même de nous mettre d'accord ou en désaccord avec ce que nous chantons. Ainsi, elle nous conduit parfois à l'apprentissage des émotions qui nous seraient autrement inconnues.

Dans notre vie, aux côtés de petites et grandes joies, nous parviennent aussi des nouvelles et des événements qui nous inquiètent ou nous attristent, de loin ou de près – parfois de trop près. Je me demande si une communauté n’est pas aussi un peu comme une chorale. Devant de tels sujets, au lieu de céder au mutisme, elle prend le courage de prendre une partition pour chanter avec un rythme commun. La partition qu’une communauté chrétienne chante les uns pour les autres, les uns avec les autres, on l’appelle la prière.

La peur et le bouleversement tels que ceux que les femmes ont ressentis devant le tombeau vide au matin de Pâques (cf. Mc 16) ne nous empêchent pas de chanter le « oui » de Dieu. Ou plutôt : l’approbation de Dieu, manifestée à la vie et à l’espérance en elle dans l’événement pascal, nous permet de chanter même la crainte et le désarroi qui nous arrivent. Une communauté chrétienne chante un chant dont le rythme nous pousse inlassablement à crier « gloire, alléluia ». Parfois comme du coq à l’âne, un peu comme du Crucifié au Ressuscité (mais justement !).

(P.-S.: Texte légèrement modifié de celui que j'ai donné comme un billet pour le journal régional "Réveil" pour le mois de mai.)

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